Les chroniques d’un voyageur : Lettre d’un ami terrien

« Appelez-moi Ismaël! », c’est ainsi que commence le roman Moby Dick de l’auteur américain du XIXème siècle Herman Melville. Alors sans introduction, appelez-moi aussi Ismaël, Jean, Assia, Isaac, Quratulain ou Maria… Car je suis un voyageur, un être fictif qui rôde dans les couloirs de la vie, à la croisée de créatures et de pléthore d’aventures. Je navigue parfois sur un bateau qui chavire tantôt, et qui se redresse tantôt. Alors appelez-moi ce que bon vous semble. Car je ne suis qu’un écho et qu’un miroir, parfois. Croisant sur mon chemin des personnages singuliers, des objets particuliers, j’ai voulu témoigner, ici avec vous, des messages qu’ils me transmettaient. En voici-donc un exemple :

La vie dans la Cité est parfois synonyme d’immondicité, souvent de superficialité. Y prolifèrent des spots publicitaires, des produits cosmétiques, des nouveaux outils technologiques ; des enjeux géopolitiques, des bruits constants et un brouhaha endémique. Voilà le nouveau chant des aèdes du XXIème siècle. 

Un jour, en marchant dans les ruelles de la Cité, l’écho de cette épopée retentit dans mon esprit. Dans cette aire, les publicités ont la vertu d’impulser les facultés cognitives, elles inspirent la réflexion, permettent le maintien du processus de mémorisation ainsi que le foisonnement des neurotransmetteurs. La télé-réalité et les infos, quant à eux, instruisent la population. Les romans de gare stimulent l’imaginaire collectif,  au gré de récits répétitifs et d’intrigues à l’eau de rose. Dès lors, dans ce monde :

La nouvelle brosse à dent vous rend joyeux, l’insoupçonnée sauce tomate égaye vos soirées, le sac bleu vermeil transcende vos matinées, la cartouche d’encre noire embellit votre univers et trace sur la feuille blanchâtre des courbes linéaires. Avec ce nouveau cadre de lunettes vous devenez plus sages, vous voyez plus clair et devinez même les mystères de l’Univers ! La nouvelle trottinette vous permet de loin naviguer. Le tissu soyeux caresse votre peau. La crème dorée l’hydrate et la nourrit. Elle illumine le teint et atténue les premiers signes de l’âge ! Le jus plein de vitamines artificielles et d’enzymes synthétiques régénère la peau. Les pesticides rendent toujours plus forts, toujours plus beaux, toujours plus énergétiques !

De la nourriture ? Il y en a pour tout le monde et pour tous les goûts ! Du cochon sauvage au cheval de Perceval. Des feuilles de briques sans gluten au saumon sauvage de Finlande. Du thé somptueux de la Moldavie à l’avocat pulpeux du Pérou. Des raisins secs du Zimbabwe aux tomates cerises du laboratoire local. Ici « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».[1]

Dans cet espace, L’homo sapiens, parfois submergé par le travail et la vie, n’a pas forcément le temps de se tenir au courant des nouveautés ; ainsi dans un élan remarquable de générosité, les beaux tableaux qui ornent les panneaux publicitaires, dans les métros ou près des cimetières, informent ce dernier des nouvelles tendances, allant du nouveau canapé minimaliste suédois aux bougies suintantes du hygge danois.

Une petite faim ? Pas de panique ! Tournez la tête sur votre gauche : une machine s’occupera de vous, vous livrant des barres riches en OGM et en sucre cloné. Sur votre droite, un restaurant vous propose, par pure philanthropie, de vous livrer de quoi vous sustenter et ce 48/24H.

Une petite moue ? Pas trop le moral ? Cela tombe bien : des spectacles pour souffler pullulent dans la Cité…

Quelle sublime justice et noble équité ! Tous les citoyens se voient égaux, quand il s’agit de gratuité de l’ignorance et d’égalité dans l’accès à la mort de l’intelligence, à l’enterrement de l’espérance.

Des corps qui gesticulent et un flot de mots insignifiants. En somme, les plaisirs, la chair, et tout divertissement y sont à portée de main ; dans les gares, les parcs, à travers les journaux ou la télé. Une guillotine moderne. 

Et pendant ce temps, sous les mêmes panneaux, gisent sur la terre des cadavres vivants, des cacochymes, des dits « clochards » de la nation. Un rappel de la misère et de l’immondicité du système monétaire. Sur le sol froid et sale, reposent ces créatures blêmes, des âmes délicates d’une apparence fragile. Tels des fantômes, les sans-abris errent dans les sous-sols de la Cité, déambulant dans les rouages de la vie, dans le Tartare urbain. Ils se déplacent dans les wagons au rythme d’une chanson imaginaire. La porte de la misère, pour eux, est toujours laissée grande ouverte. Du bout des doigts, ils tissent des lettres larmoyantes, le récit de leur vie dans des livres éparpillés, ici et là près des rails ; la rouille dévorant les dernières lettres qui ont survécu, à la poussière du temps, aux ravages du vent, à l’amertume des fruits inexistants.

L’écho d’un bonheur futur laisse des traces sur leurs yeux maussades et leurs silences furieux. Ils sont partout, pourtant invisibles de tous. Ils quémandent dans les allées à la recherche d’un bout de pain, d’une écharpe ou d’un quelconque coup de main. La misère scande leur quotidien et le froid glacial déchire leur peau. Sur leur visage, terne et ridé, un regard absent, meurtri par l’indifférence des passants.

Alors j’ai fermé les yeux un instant, devant ce spectacle assourdissant. Deux univers parallèles coexistent. Celui de l’excès. L’extrême pauvreté d’une part et l’extrême insouciance de l’autre part.

Qui les regardera ? Qui les secourra ?

Un professeur a dit, à ce propos, que le monde est effectivement en overdose de violence.

Alors : Que dire ? Que faire ? Où sont la miséricorde, l’entraide et la fraternité ?

On raconte qu’un compagnon s’assurait que tous les foyers avaient de quoi se nourrir avant de s’endormir. Que faisons-nous à notre tour ?

« Ce monde est érigé sur le principe de la réciprocité. Ni une goutte de bonté ni un grain de méchanceté ne resteront sans réciprocité. »[2], nous rappelle Shams Tabziri, qu’allons-nous réaliser désormais ? A nous de décider…


[1] Voltaire, (1759) Candide.

[2] Les 40 règles de Shams de Tabriz

Un commentaire

  1. Chère Khadija Bourouine.
    Chère Sœur en Dieu j’espère.
    Tout d’abord, paix à vous, apaisement à vous et apaisement aux personnes que vous mentionnez dans votre article.
    Nous vivons dans un des pays les plus riches au Monde.
    Peut-être devrions-nous commencer par réfléchir à comment pouvoir aider l’autre aussi bien proche que plus éloigné.
    Beaucoup de pays, par exemple, n’ont toujours pas accès à l’eau potable courante ou à l’électricité.
    D’autres sont en guerre, souffrent d’insécurité, de faim, de malnutrition, de toutes sortes de maladies physiques, psychiques, de pollutions, j’en passe et des pires… Dieu Sait Mieux.
    Que faire ?
    Comment faire ?
    Peut-être devrions-nous commencer déjà par nous sentir concernés du sort de l’autre, de sa condition, des difficultés qu’il rencontre.
    Son problème doit peut-être devenir aussi notre problème.
    Ce n’est pas toujours évident de se sentir ainsi concerné par le malheur de l’autre, et ce d’autant plus dans cette invite sans cesse à plus d’individualisme deshumanisant, mais c’est peut-être un bon début.
    Peut-être devons-nous également essayer de répondre favorablement à toute opportunité de faire le bien, quelle qu’en soit sa dimension, qui se présente à nous.
    Notre Noble Prophète, Paix et Salut, nous a enseigné qu’un véritable Croyant souhaite pour autrui ce qu’il désire pour lui-même.
    Peut-être devons-nous aussi nous resensibiliser à la condition de l’autre.
    Certains estiment que chaque effort réalisé dans La Voie de Dieu est une Invocation formulée à Lui, Exalté et Glorifié Soit Son Nom.
    Peut-être devons-nous essayer d’œuvrer d’avantage, au maximum de nos possibilités, dans le but d’améliorer la condition de l’autre, qui qu’il soit, afin que nous puissions répondre au mieux à ce que Notre Créateur Attend de nous.
    Dieu Sait Mieux.
    Peut-être devons nous essayer également de renouveler nos intentions afin de les purifier et de les enrichir toujours plus et de parvenir, si Dieu Veut, à les traduire concrètement par une action salutaire et digne d’être Agréé par Notre Seigneur, Exalté et Glorifié Soit Son Nom.
    Vous posez-là questions qui méritent certainement d’être reposées incessamment jusqu’à ce que, si Dieu Veut, tout le Monde puisse adorer Dieu dans l’aisance.
    Dieu Sait Mieux.
    Merci chère sœur pour cette interpellation.
    Que Dieu Agrée.
    Nos cœurs sont si durs…
    Merci encore.
    Que Dieu Agrée et qu’Il nous Aide.
    Dieu Sait Mieux.

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