« Les filles voilées [re]parlent » d’elles

Cet article est tiré d’une fiche de lecture rédigée pour la tenue d’un thé débat sur le livre « les filles voilées parlent » en présence d’un des auteurs Ismahane Chouder. Cette action s’inscrit dans une campagne d’actions sur la lecture initiée par la bibliothèque (islamique) Echanges à Strasbourg.

 

 

Le voile : une affaire médiatique, un problème français

Quand le voile devient une « affaire »…

1989, marque la naissance d’une affaire qui à l’époque ne dit pas son nom : « l’affaire du voile islamique ». Trois jeunes filles voilées sont exclues du lycée Gabriel Havez de Creil en octobre 1989. S’ouvre alors une vive controverse sur le voile islamique et sa place dans la laïcité qui se clôt par l’avis du Conseil d’État transposé dans la circulaire adressée par Lionel Jospin alors ministre de l’Éducation Nationale le 12 décembre 1989. Il affirme notamment que le port du foulard, comme celui de tout autre signe religieux, ne peut être interdit une fois pour toutes mais seulement en fonction des circonstances (refus de certains enseignements ou actes de propagande).

En deux mois, malgré cette vive polémique, l’affaire est classée, enfin presque. Ainsi, la France semble s’être scindée encore une fois en deux, deux choix de société : la tolérance vis-à-vis de la différence ou l’attachement [dogmatique] au principe de la laïcité. C’est un peu en substance ce qui opposait dans le discours médiatique et intellectuel ces 2 France, à l’image d’une autre affaire : l’affaire Dreyfus. La question était : faut-il refuser le port du foulard au nom de la laïcité ou le tolérer pour éviter l’exclusion ? En effet, l’incompréhension et le déchaînement de violences verbales à l’encontre de quelques jeunes filles ont été intolérables pour certains, pour d’autres, l’État avait perdu l’occasion « d’étouffer l’affaire dans l’œuf » par manque de fermeté. [1]

1994 : le politique revient à la charge. C’est à une nouvelle circulaire rédigée à la rentrée 1994 et signée par le ministre de l’Éducation Nationale, François Bayrou que l’on doit le resurgissement de la controverse sur cette scène. Dès lors, le droit et le politique s’affrontent sur le terrain du voile. Plusieurs décisions d’exclusions suite à la circulaire Bayrou sont annulées par le juge administratif,  reposant sur l’avis du Conseil d’Etat. En dépit de quelques polémiques ici et là, le voile n’occupe plus la scène médiatique entre 1996 et 2000.

2004, bouter le voile hors de nos écoles ! Une véritable « croisade morale »[2] est lancée contre un bout de tissu. Après quelques débats théologico-tragiques, la lutte entre les 2 France se cristallise autour d’un projet de loi interdisant le voile à l’école[3]. Les prohibitionnistes et les anti-prohibitionnistes s’affrontent à coup d’arguments théologiques, souvent« pseudo-sociologiques »,  rarement sérieusement juridiques. Pour les uns, le voile symbolise l’oppression et la soumission des femmes en totale contradiction avec les canons d’une société, où la femme est pensée comme objet de désir. D’aucuns diront qu’il est une importation d’un mode de vie étranger. Plus le musulman, et surtout la musulmane étaient visibles dans l’espace public, plus les discours pointaient du doigt la menace d’une invasion des musulmans en Europe. L’« obsession iranienne » était sur toutes les lèvres, elle existe encore aujourd’hui, mais pour d’autres raisons. Il n’était pas étonnant d’entendre parler de tchador en 1989 pour désigner le voile. Cela donnait au foulard une connotation “intégriste” qui renvoyait directement au vocabulaire et aux images issues de la révolution iranienne de 1979. Malgré le combat courageux, mais isolé[4] de quelques initiatives citoyennes[5], la loi visant à interdire le voile est votée. En parlant d’Iran, rappelons à notre bon souvenir l’avis d’une iranienne Marjane Satrapi, l’auteur de « Persépolis » :

« Que ce soit pour imposer le voile ou pour l’enlever de force, c’est une même violence de l’Etat qui s’exerce à l’encontre des plus faibles : les jeunes femmes. »

Rappel de quelques dates de 1880-2012 : entre lois islamophobes et réponses citoyennes

  •  1880-1886 : lois Ferry-Goblet sur la laïcité de l’école : devoir de neutralité pour les agents du service public.
  •  Octobre 1989 : 1ère « affaire du foulard » et avis du conseil d’Etat.
  •  Septembre 1994: circulaire Bayrou
  •  février 1997 : la commission Islam et laïcité, créée à l’initiative de la Ligue de l’Enseignement
  •  Mars 2003 : lancement du 3ème débat national sur le voile. Commission Debré et Stasi
  •  2003 : création du CCIF (collectif contre l’islamophobie en France)
  •  2004 : constitution du collectif Une école pour tou-te-s en réaction au projet de loi
  •  15 mars 2004 : vote de la « loi sur la laïcité de l’école »
  •  Juin 2007 : condamnation des exclusions de ‘mamans voilées » par la Halde.
  •  Novembre 2008 : création de la coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI)
  •  12 octobre 2010 : interdiction du niqab (dite « sur la dissimulation du visage dans l’espace public »).
  •  2 mai 2011 : collectif Mamans Toutes Égales soutient les mamans musulmanes, victimes de discriminations à l’école au mépris de la Loi de 1905 sur la laïcité.
  •  21 juin 2011 : création de l’association Enfants de la patrie pour lutter contre les discriminations raciales, identitaires et religieuses.

 


[1] L’expression est de Jean-Pierre Chevènement, « Chevènement : “Interdire le voile à l’école” », propos recueillis par Marie-Amélie Lombard, Le Figaro, 11-12 juin 1994

[2] GUSFIELD J.R., 1963, Symbolic Crusade. Status Politics and the American Temperance Movement, University of Illinois Press

[3] Loi no 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

[4] On se rappellera du silence, voire de la compromission avec le gouvernement en place de certains acteurs associatifs concernant l’affaire du voile en 2004. Lire notamment l’article de Vincent Geisser : http://oumma.com/12265/uoif-sarkozyune-

histoire-damour-finit-mal

[5] On peut citer notamment le collectif Ecole pour toutes et tous.

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