L’enfant face à la mort d’un parent

La mort d’un proche, d’un parent reste vraisemblablement l’une des expériences les plus marquantes de l’existence même si nous savons bien que notre vie sur terre n’est qu’une étape et que la mort signe le passage vers un destin éternel. Que l’on soit adulte ou enfant, cette perte nous laisse orphelin face à une absence irréversible. Si la mort d’un parent est potentiellement traumatique pour l’adulte, elle l’est davantage pour le jeune enfant qui se retrouve privé soudainement d’une relation essentielle à son équilibre psycho-affectif. Son paysage psychologique s’en trouve bouleversé, toutes ses croyances, ses repères sont mis à mal.

Malgré toutes ces perturbations le deuil n’est pas insurmontable pour l’enfant. La qualité du travail de deuil est fonction de son âge et de la façon dont la famille va traverser cette épreuve. C’est une période charnière pour l’enfant, qu’il n’oubliera pas. C’est parfois à cette occasion qu’il entend parler de Dieu, Exalté-soit-Il et de son Prophète, paix et salut sur lui, qu’il pose des questions sur l’origine du monde et des être-vivants. Il est donc essentiel de leur faciliter cette rencontre avec Dieu et Son messager car il en sera profondément marqué.

Tout ce qui vit, meurt un jour. Les enfants jouent spontanément à la mort même si cela reste « pour de faux ». La représentation de la mort s’élabore progressivement et fait partie intégrante du développement de l’enfant. Les notions d”universalité et d’irréversibilité de la mort s’acquièrent petit à petit entre 6 et 10 ans. Avant 5 ans elle est souvent perçue comme temporaire, comme « un long sommeil ».

La compréhension de la mort chez l’enfant n’est donc pas la même que celle de l’adulte. Il n’a ni la maturité spirituelle et affective, ni les capacités cognitives des plus grands. Il va souvent percevoir les choses sans être capable de mettre des mots dessus. Le monde de l’enfance reste dominé jusqu’à un certain âge par la toute-puissance de la pensée magique. Les enfants pensent que leurs pensées influent sur le monde extérieur. Si le décès d’un parent survient peu de temps après qu’il est ressenti de la colère à son égard, l’enfant peut inconsciemment s’attribuer la cause de cette disparition. D’où l’importance d’expliquer le contexte de survenue du décès pour éviter que l’enfant ne se sente coupable en imaginant être lié à cet évènement.

Comment aider l’enfant à surmonter cette épreuve?

Accompagner un enfant dans sa douleur est chose éprouvante, les adultes adoptent souvent une attitude d’évitement. Ils peuvent considérer qu’il est trop petit, trop jeune pour comprendre. Ils ne savent pas comment présenter les choses, ont peur de ne pas avoir les mots justes et de le blesser. Mais paradoxalement en tentant de les préserver des répercussions de la mort, ces attitudes les fragilisent, les excluent.

Toutes ces peurs sont compréhensibles, l’entourage est confronté au chagrin de l’enfant et à sa propre impuissance face à cette perte. Le désarroi des adultes traduit leur effroi face à la mort, cette impensable frayeur qui incite à se taire pour ne pas être débordé soi même par la douleur. La mort est difficilement exprimable car elle demeure irreprésentable pour notre psychisme. Nous sommes inconsciemment persuadés de notre immortalité. Alors Quelles explications lui donner face à un événement qui leur échappe ?

La première étape est de replacer la mort dans une réalité spirituelle. Pour le croyant la mort n’est ni une punition ni une fin en soi mais une composante de la vie terrestre et  notre Bien-aimé Prophète, paix et salut sur lui,  a été lui-même endeuillé par la perte d’êtres chers dès son plus jeune âge.

Tous ces ressentis sont bien naturels tant le choc de l’annonce est traumatique. Cette première phase passée l’entourage doit essayer d’apporter du sens à cet événement pour permettre à l’enfant de comprendre et d’accepter ce destin inéluctable.

Pour surmonter au mieux cette épreuve les enfants endeuillés ont besoin d’un espace de parole, d’écoute, où on leur donne l’occasion de dire les choses avec leurs mots, sans les corriger. Quelque soit son âge, l’enfant doit pouvoir comprendre se qui se passe autour de lui. Même si rien ne lui est dit, il ressentira ces bouleversements dans les attitudes de son entourage.

Accompagner un enfant en deuil c’est accueillir avec réassurance son chagrin et ses pleurs, ses interrogations et ses angoisses, sans jugement. Et pour cela quoi de plus bénéfique que d’évoquer son Seigneur sous ses attributs « ar Rahman (le Miséricordieux), ar  Rahim (le Très Miséricordieux), al  Ghafour (le Pardonneur), … » pour éviter qu’il ne développe une fausse conception du Très-Haut. Il doit avoir la possibilité de parler du parent décédé s’il le souhaite. Continuer à l’évoquer dans des souvenirs positifs lui permet d’apprivoiser son chagrin et l’aide à vivre avec cette absence au quotidien. L’enfant peut également assister aux différents étapes des funérailles : à la lecture du coran, à la prière mortuaire…

Participer aux rituels de deuil permet d’affronter la réalité tout en profitant du soutien spirituel du groupe familial. Il poursuivra plus facilement son travail de deuil en voyant que son parent est entouré, qu’on ne l’oublie pas. C’est au cours de ces étapes qu’on peut lui apprendre à faire des invocations pour le défunt, en spécifiant que le lien au parent défunt n’est pas rompu, que l’enfant peut prier pour lui ou faire de bonnes actions en son nom. Chacun de ces apprentissages doit se faire avec les explications spirituelles qui leurs confèrent toute leur symbolique divine.

Comment annoncer le décès d’un parent?

L’annonce est un temps qui se fige dans la mémoire. Longtemps après, le contexte, les mots des personnes restent ancrés dans l’esprit des personnes endeuillées. Il est important d’essayer de ne pas faire une annonce dans l’urgence aux prises de ses propres affects et de prendre le temps de faire ses ablutions pour retrouver un équilibre émotionnel selon la prescription de notre Prophète, paix et salut sur lui. Mais aussi de choisir un vocabulaire simple et adapté à l’enfant. Le mot « mort » peut être prononcé simplement, sans chercher à masquer ses émotions pour que l’enfant se sente à son tour libre de les exprimer.

Il faut essayer tant que possible de choisir le lieu de l’annonce, calme de préférence et loin du quotidien (éviter de faire l’annonce dans sa chambre…). Car tous ces éléments resteront attachés à cet événement tragique. Si la fratrie est composée de plusieurs enfants, on peut dans un premier temps faire l’annonce en famille avant de prendre un moment avec chacun des enfants. L’entourage peut tout à fait utiliser la littérature religieuse enfantine comme support. Lire ensemble sur ce thème peut-être l’occasion pour certains enfants introvertis de poser leurs questions, de se confier et d’évoquer ensemble Dieu Tout-Puissant. L’impact du choc peut-être adoucit par des références spirituelles qui réassureront l’enfant au sujet du défunt. Il est possible d’évoquer le parcours d’une âme pieuse après la mort, sa rencontre avec les anges ou les délices du paradis que Dieu  promet à Ses adorateurs.

Quelles sont les réactions possibles des enfants face à la mort?

Dans un premier temps, il est possible que l’enfant ne montre aucun signe de souffrances psychiques, il peut manifester un réel détachement et continuer à jouer comme si de rien n’était. Puis extérioriser sa peine de manière différée dans le temps, plusieurs jours ou mois après.

L’enfant peut développer une dépendance anxieuse qui se manifeste par un collage excessif à l’autre parent, un agrippement affectif. Il se peut que certains moments habituels de séparation comme aller à l’école, rester seul dans sa chambre deviennent insupportable. Il craint en fait que le parent vivant ne disparaisse à son tour ou ne l’abandonne. Il se montrera hyper-vigilant pour s’assurer que ses proches ne risquent pas de disparaître à leurs tours. Pour limiter ces difficultés, il est important que les adultes puissent supporter ces phases de dépendances anxieuses sans le reprocher à l’enfant et le rassurer sur le fait qu’il n’est pas seul.

L’enfant peut avoir un comportement régressif en ayant inconsciemment recours à un comportement d’une étape antérieure de son développement où il se sentait en sécurité. Il peut également stagner et ne pas réaliser les progrès qu’il devrait faire à son âge. Différentes manifestations sont repérables : recommencer à sucer son pouce, renforcer les rituels du coucher, énurésie…

Souvent, les enfants qui n’expriment pas leur chagrin  d’une manière visible et identifiable comme telle, manifestent des troubles du comportement. Face à ce traumatisme, il peut perdre les mots et avoir un comportement qui traduit sa perte de repères en alternant des phases d’hyperactivité et de retrait. Le mal-être peut aussi prendre la forme de plaintes somatiques : maux de ventre, vomissement.
Toutes ces manifestations sont à considérer comme des symptômes de son mal-être. L’enfant exprime ainsi son besoin de réassurance, de maternage par l’entourage. Il faut rester attentif à ce qu’il exprime verbalement ou par son comportement.

Pour retrouver un équilibre l’enfant doit pouvoir retrouver un quotidien aussi stable et sécurisant que possible pour faciliter la disparition des différents troubles évoqués.  La cohésion familiale peut se consolider par des adorations en commun (prière, invocations…). La vie et le comportement de notre Bien-aimé Messager, paix et salut sur lui, peut également être évoqué comme modèle pour l’enfant introverti qui n’ose pas exprimer sa tristesse. Il a lui-même pleuré son fils Ibrahim et dit: « L’œil pleure, le cœur ressent du chagrin, mais nous ne disons que ce qui satisfait notre Seigneur. Ô Ibrahim ! Ta séparation nous remplit certainement de chagrin ». ( Rapporté par Al Boukhâri ). Il a également  pleuré la mort de Umayma sa nièce, la fille de Zaynab . Sa’d bin ‘Ubâda lui dit alors: « Mais ô Messager de Dieu, tu pleures ?» – « C’est une miséricorde que Dieu nous a mise dans le cœur, lui répondit-il, Dieu accorde Sa miséricorde aux adorateurs compatissants.»

Si le mal-être venait à se prolonger, si l’humeur de l’enfant se cristallait autour de son chagrin, il est précieux de solliciter le soutien d’un professionnel.

L’amour, la bienveillance, l’attention de l’entourage familial, du parent vivant sont des besoins indispensables au bon déroulement du processus de deuil de l’enfant. Ceci pour lui permettre d’intégrer sereinement et peu à peu cette réalité incontournable de la vie et continuer d’être un enfant sans avoir peur de l’avenir, ni de grandir.

C’est aussi une phase où se posent les premiers jalons de sa spiritualité, de sa relation avec Dieu, Exalté-soit-Il. Au-delà d’une épreuve douloureuse à surmonter, la perte d’un parent est l’occasion d’ouvrir  son enfant sur le monde des cieux,  infiniment plus vaste  que notre finitude terrestre.

Bien que nous vivions dans une société où la mort est encore taboue, le croyant échappe en quelque sorte à cette angoisse de la fin car elle recèle pour lui un sens différent.  Cette différence essentielle qui fait que la mort n’est pas une fin en soi mais le commencement, le début de notre existence céleste. Alors n’ayons pas peur de l’évoquer, souvent de manière apaisée, calme.

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