Des métamorphoses économiques

« Voyez-vous, Robineau, dans la vie il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marché : il faut les créer et les solutions suivent. »[1]

L’économie est l’un des premiers domaines dans lequel de nouvelles métamorphoses[2] sont à l’œuvre. Une aspiration à un nouvel art de vivre l’économie est en train d’émerger dans la société du fait même des maux générés par nos modes de vie actuels.

Il a fallu à l’humanité près de deux siècles pour comprendre que le tri-type production/consommation/destruction nous précipite vers un abîme. Ce système a su fonctionner en s’appuyant sur un processus parallèle sur le plan individuel : le développement de l’être humain envisagé comme essentiellement quantitatif et matériel. L’appauvrissement de l’Occident étant inéluctable, plusieurs initiatives et métamorphoses ont émergé pour  tenter d’adapter au mieux notre économie à ce monde naissant.

Des modèles innovants de sociétés émergent se fixant d’autres objectifs, notamment sociaux et environnementaux, redonnant ainsi à l’économie sa fonction primaire : celle d’activité sociale. Il s’agit de mettre du sens dans l’économie. L’un de ces modèles émerge sous la forme d’économie sociale et solidaire (ESS). Elle désigne tout groupement de personnes ayant pour finalité la production de biens et services utiles à leurs membres ou à la collectivité.  Ces regroupements produisent de la valeur, financière mais également humaine, sociale, culturelle, environnementale. En permettant à chacun de répondre aux questions suivantes après une journée de travail : « Suis-je utile à la société, d’aujourd’hui et de demain ? A quoi est-ce que je contribue ? Mon travail a-t-il du sens ? »,  l’ESS permet de donner du sens à l’économie.

Ce type de modèle était improbable comme alternative à un modèle  dominé par le court terme avant 2008. Aujourd’hui, l’ESS représente environ 10% des emplois et 8% du PIB en France. Ce secteur regroupe 6% de l’emploi total en Europe, soit 11 millions de personnes. Cette métamorphose, qui ne demande qu’à être renforcée et développée, constitue un véritable moyen de cohésion sociale, créant au sein de la société de nouvelles solidarités et renforçant la participation locale à la création économique et sociale.

On pourrait citer comme exemple, le regroupement Ares, créé en 1991, qui vise à casser le noyau dur de l’exclusion en accompagnant des personnes très éloignées de l’emploi vers une activité économique, réconciliant ainsi au sein de l’entreprise la logique de rentabilité et l’impact social. Principal acteur de l’insertion par l’activité économique en Île-de-France, Ares accompagne chaque année des centaines de personnes grâce à cinq entreprises sociales.  Il y a également Archer, créée en 1987. Cette association, à l’origine constituée pour défendre le bassin d’emploi de la Drôme, est devenue une société par actions simplifiées (SAS). Cette entreprise emploie aujourd’hui 1 200 salariés gérant près de 15 activités allant de la réparation de vélos à l’entretien des espaces verts. Archer se distingue par son mode de gestion où les écarts de salaire vont de 1 à 3,5 et les bénéfices sont systématiquement réinvestis. Ce nouveau modèle s’exprime également à travers un nouveau modèle bancaire. La banque néerlandaise Triodos, fondée en 1980, ne finance que des projets sociaux, culturels et environnementaux. La société pour une épargne activement responsable (Spear), créée en 2012, vise, via sa plate-forme Internet, à ne financer que les entreprises avec un fort impact social.

Au-delà de l’ESS, les nouvelles technologies constituent de vraies opportunités pour  construire une relation au travail plus coopérative et rompre la logique dominante du tout profit. L’émergence de l’économie collaborative, permet de démultiplier les possibilités d’action et la capacité d’intervention de nouveaux modèles en marge des allées de pouvoir. Le monde collaboratif né du 2.0 facilite et renouvelle notre approche du partage. Il est plus facile de faire valoir ses idées, ses projets, de s’exprimer et d’être entendus. L’économie collaborative redonne du sens à l’économie. Comme exemple d’impact, on peut citer le Crowfunding, ou financement participatif, qui s’assimile à une « Musharika » dans la finance islamique[3], permettant le financement de projet par Internet. Une organisation présente un projet à des participants par le bais de réseaux spécialisés. Ces derniers apportent une contribution financière. Ce mode de financement a représenté près de 1,15 milliard d’euros pour l’année 2012. Ainsi, toute personne souhaitant développer un projet en marge des conventions et du système, peut le faire, à condition qu’elle en ait la volonté, étant donné que les moyens existent. Le financement participatif est un formidable outil pour façonner le monde qui nous entoure. En tant que personne avec une  certaine vision du monde et une éthique, je  ne place mon épargne que sur des projets participant à mon idéal.

Chose étonnante, cette logique de collaboration tend à toucher également les acteurs historiques. Créé en 2009, le réseau SO ECO rassemble 16 sociétés du Languedoc Roussillon, allant de TPE à de très grandes entreprises comme Dell, EDF ou encore la SNCF. Ce réseau permet d’offrir un véritable espace d’échange sans pression concurrentielle. Chaque mois, ces dernières se réunissent en atelier pour partager de façon transparente leurs expériences respectives en matière managériale et de gestion sociale. Ces rencontres permettent ensuite d’établir des parrainages  entre les entreprises. 

Les exemples cités ci-dessus, ne sont que des exemples parmi un grouillement d’initiatives créatrices ; nous montrant un vouloir vivre ignoré des bureaucraties et des Medias. On pourrait arguer que ces initiatives pèsent encore trop peu sur le système économique actuel pour constituer des alternatives viables. Mais rien n’a encore relié ces initiatives, et c’est cela qui doit nous pousser à voir les graines d’espoir au sein même des périodes noires. Toute transformation commence toujours de façon déviante par rapport à l’état des choses.  Mohammed Iqbal, le grand réformateur du Sous-continent indien, combattant la fatalité de ses contemporains face à la tournure que prenait son siècle, conclut que :«  C’est le sort de l’homme que de participer aux aspirations les plus profondes de l’univers qui l’entoure et de façonner sa propre destinée aussi bien que celle de l’univers, tantôt en s’adaptant aux forces de cet univers, tantôt  en consacrant toute son énergie à se servir de ces forces,  sa propre intention. Et, dans ce processus de changements progressifs, Dieu devient le compagnon de l’homme dans sa tâche, pourvu que l’homme en prenne l’initiative…. »[4]

On ne peut ici que faire le même appel, en appelant nos concitoyens à participer à ces initiatives qui font partie de la grande réforme de la vie en cours. L’altruisme étant essentiel à l’émergence d’un nouveau modèle économique viable, la valorisation à l’école de la coopération, les activités de groupe, la prise en compte d’autrui, la confiance, sont autant de défis à relever par l’éducation, qui fera l’objet d’une prochaine partie.

 


[1] Vol de nuit, éd. Gallimard, Antoine de Saint-Exupèry1972, p,159

[2] Cf l’article « Vous avez dit crise ? » : http://www.psm-enligne.org/index.php/2011-06-30-23-44-4/articles/2529-vous-avez-dit-crise

[3] Le thème de la finance islamique fera l’objet d’un article à venir sur le thème des métamorphoses à venir.

[4] Reconstruire la pensée religieuse de l’Islam, Mohammed Iqbal, éd. Du Rocher, 1996, p 12-13

 

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