La grande fracture de la modernité

En remontant l’histoire qui a donné naissance à notre monde imprégné d’individualisme, j’y ai rencontré quelques hommes dont les noms sont glorifiés à leur simple mention. Pourtant, on ne peut pas dire qu’ils s’étaient réalisés pleinement dans la mesure où ils ont tâtonné dans l’obscurité dans laquelle ils se sont jetés.

Après avoir arraché l’âme de l’homme pour la jeter dans les oubliettes, ils ont pu projeter pour l’humanité un monde sans Dieu, sans ciel, sans lumière, sans finalité, sans direction. C’est tout l’héritage qu’on nous a laissé. C’est de cela que je souhaite vous parler aujourd’hui.

Le monde et les lunettes qui nous sont offertes aujourd’hui nous privent des couleurs, du son, du sens… Quel mauvais troc !

« Les questions de l’âme, de Dieu, de la connaissance, de l’eschatologie, etc, ont en effet permis, dans une perspective opposée, l’apparition de toutes les grandes théories modernes, depuis l’époque de Descartes. Bien-sûr, le philosophe se croit libre de souscrire à tout dogme mais, dès lors qu’il interprète un monde qui a priori n’est pas le sien, il importe en retour que ce monde lui dise si son approche est recevable et surtout si son information est suffisamment étendue. »[1]

L’histoire compliquée avec une institutionnalisation religieuse chrétienne a donné naissance à une volonté de se débarrasser de tout ce qui est au sein de son giron. C’est dans cette « perspective opposée » que ce monde nouveau est né. Et si l’élan civilisationnel, dans une coïncidence de la Providence n’a jamais été aussi important, que cela ne nous voile pas du sacrifice suicidaire que l’humanité est en train de faire. A quoi bon un monde ultra moderne et éclatant de lumières si l’homme a perdu la vue, l’ouïe et la conscience profonde ? Mais comment cela est-il arrivé ? De quelle manière, tout un peuple attaché au Ciel a progressivement tourné entièrement son regard vers la terre ?

Afin de détourner la croyance populaire multiséculaire vers une croyance nouvelle de la modernité, il a fallu s’accaparer des traces de l’humanité et les réinterpréter dans le cadre d’une conception de l’histoire nouvelle. La modernité est la croyance en un horizon ontologique glorieux pour l’homme, où il se découvrirait Dieu, après une longue évolution. Pour cela, on a isolé la raison du cœur et le mauvais tour est joué ! « « Dans la religion, souligne justement J.P. Vernant, le mythe exprime une vérité essentielle ; il est savoir authentique, modèle de la réalité ». Croire en la possibilité d’une « interprétation créatrice » de sens nécessite par conséquent une désubstantialisation du symbole, son évidement, fût-il artificiel, afin de le remplir d’un sens hypothétique nouveau. »[2]

Ce qui constitue une fracture d’avec l’histoire de l’humanité est présenté comme une continuité, reléguant toute la sagesse qui nous a précédés à un état moins avancé de l’homme contemporain. « […] H. Corbin présentera la méthode interprétative de Jung en la reliant explicitement à celle de Schleiermacher ; pour lui, celle-ci doit conduire à la création d’une « religion individuelle (…) libérée des normes collectives ». »[3]

L’universel, ce qui est transversal aux êtres humains, les normes, tout y passe dans ce déchaînement philosophique sur la Religion. Le but est d’arracher l’homme à une représentation cosmologique bien installée depuis longtemps. Leur tâche n’était pas si simple dans la mesure où l’histoire de l’humanité est imprégnée du parfum des prophètes (paix sur eux), des sagesses des hommes saints quelle que soit leur religion, du bonheur et de la sérénité des êtres humains à des époques où l’électricité n’existait pas. Il fallait plonger le projecteur dans les yeux de l’homme moderne pour l’aveugler.

Au fil de l’histoire, il est intéressant de voir comment l’homme fut séparé de Dieu puis privé, semble-t-il, de sa possibilité de Le découvrir. Selon René Guénon, les débuts de la crise moderne se situeraient à la fin du Moyen Age.[4] En effet, Patrick Geay remarque avec pertinence que c’est à cette époque, le XIVème siècle, qu’apparaît une nouvelle école de pensée : les nominalistes ou les conceptualistes repris par la philosophie d’Occam. « Ainsi, le langage n’est plus le reflet privilégié de l’être ; les idées, les concepts, l’universel n’ont de réalité que dans l’âme. Selon Occam, « les mots sont créés par imposition », c’est-à-dire par une donation de sens qui réunit de façon arbitraire un son à un concept. (…) Un abîme est donc creusé entre la réalité objective et le langage, de telle sorte que celui-ci n’a plus de prise directe sur le monde. »[5]

Cela donnera à l’être humain les pleins pouvoirs pour réécrire sa propre réalité. Mais afin de le faire de manière complètement « libre » il lui fallait encore se séparer de Dieu. C’est là qu’intervient une autre pensée Occamique qui rappelle curieusement le positionnement des Mou’tazilites dans l’histoire musulmane (mais ma comparaison s’arrête là, mes recherches ne sont pas allées plus loin). En effet, selon Occam il est nécessaire de « nier la réalité des Noms divins afin de préserver « la simplicité radicale de Dieu » ».[6]

« Le rejet des Noms, de même que celui des idées platoniciennes, conduit par conséquent à rendre le rapport de Dieu avec le cosmos encore plus incompréhensible, pour aboutir à une autonomisation de l’Existence à l’égard de sa Source, de plus en plus lointaine. »[7]

Pour isoler l’homme de Dieu, il fallait L’éloigner de son monde, à coup d’agnosticisme, d’incapacité à Le connaître. Voltaire ne disait-il pas que le Créateur a créé le monde puis Il s’en est désintéressé ? La voie était libre pour redessiner la représentation du monde selon des esprits contaminés par le doute, les passions et l’incertitude.

Nous vivons aujourd’hui une nouvelle période post moderniste. Alors que l’époque moderne n’a pas tenu sa promesse d’un horizon ontologique glorieux et que l’humanité ne voit plus qu’un avenir crépusculaire, le post modernisme fait table rase du modernisme pour s’intéresser à l’immédiat. Il accepte toutes les solutions qui permettent à l’homme de trouver un peu d’espoir que ce soit du charlatanisme spirituel, peu importe ! On en est là, après avoir troqué la voie royale pour s’accrocher à l’ego malade d’un gourou ou à une science née d’un positivisme esseulé. Quelle issue ? Il faut renouer avec notre passé ! Il faut rétablir le contact avec l’histoire des grands hommes, prophètes de Dieu et sages ! Il faut réaliser en nous le lien complet avec Dieu pour redonner espoir à l’humanité ! Cette possibilité a-t-elle disparu ? Les Noms de Dieu qui témoignent de Son intérêt pour Ses créatures sont à réapprendre et à se réapproprier. N’est-Il pas Le Pourvoyeur, Le Pardonneur, Le Compatissant, La Paix, Le Tout Miséricordieux. A la simple énonciation de Ses attributs ne se dessine-t-il pas au fond de ton cœur une fenêtre jusqu’à présent ignorée ? C’est cette voie, à l’intérieur de l’être humain qu’il faut retrouver !

Puisse Dieu nous y aider !


[1]GEAY Patrick, Hermès Trahi, impostures philosophiques et néo-spiritualisme d’après l’œuvre de René Guénon, Edition Dervy, 1996, Paris. P 12.

[2]Id P 42. 

[3]Id P 43

[4]GEAY Patrick, Hermès Trahi, impostures philosophiques et néo-spiritualisme d’après l’œuvre de René Guénon, Edition Dervy, 1996, Paris. P 97

[5]Id P 99

[6]Id P100

[7]Id P100

6 commentaires

    1. Merci Carlens pour cette impression à chaud suite à la lecture de l’article. Je suis conscient en vue du nombre de lectures de l’article que ce n’est pas un sujet très attractif et Dieu sait que je me suis moi-même ennuyé a la lecture de certains livres, pourtant, je suis persuadé que certains lecteurs, en petit nombre soient-ils, sauront y trouver quelque intérêt dans leur analyse du paradigme dominant dans lequel nous sommes baignés actuellement. Au plaisir de vous retrouver sur ce chemin du savoir 🙂

  1. On est là ??
    Article inspiré. Serais-tu devenu Guénonien?? Tes lectures te réussissent et te révèlent de nouveaux horizons. On apprécie tous la vue, là-haut, quand la conscience s’élève un peu.? Surtout continue d’écrire pour nous ces articles!…?

    1. Merci Siham pour tes encouragements. Je prends beaucoup de plaisir à découvrir la grande production de René Guenon, il gagne à être connu ?. Mais en réalité ce sont énormément d’auteurs et d’ouvrages très peu médiatisés voire plus du tout réédités depuis des décennies car en inadéquation avec la logique de l’ordre actuel qui gagneraient à être redecouverts. Mais la je prêche une convertie. ☺️

  2. Salam Farid.
    Je viens de voir ta réponse qui m’interpelle.
    Sérieusement mon Frère, si tu ne vois dans ma critique que négativisme, découragement etc…, je dois vraiment mal m’y prendre.
    Je vais donc tenter de préciser un peu ma démarche, tu y as droit:
    Pour MOI, un propos dialectique a visée contributive, constructive ambitionnant d’apporter du mieux, aussi infime puisse t-il être par ailleurs, ne trouve aucun intérêt à “lever un pouce à la Facebook”, à applaudir des deux mains voire à siffler.
    Je ne me vois pas ici comme dans une salle de spectacle.
    En général, lorsque je lis un propos, je réagis plutôt sur la partie de celui-ci qui m’interpelle,
    qui me chiffonne voire même qui peut parfois me révolter.
    On parle ici de Dieu, on parle de l’Homme aussi, on parle de sa condition etc…
    C’est très sérieux comme sujet…
    Dieu Sait Mieux Évidemment…
    Ainsi, plutôt que de rester dans mon coin avec mon petit ressentiment, Dieu Sait que je suis rancunier, qu’ Il m’en Guérisse !, je préfère interpeller directement l’auteur du propos afin qu’il puisse avoir l’opportunité de l’ expliquer d’avantage, ce qui me donne à moi aussi l’opportunité de mieux l’appréhender, le propos, de mieux le comprendre, voire peut-être même de mieux l’intégrer par la suite si je le trouve opportun et constructif.
    Dieu Sait Mieux Évidemment…
    Pour ce qui est de l’auteur, de LA PERSONNE, en revanche, sincèrement mon Frère, ELLE, j’essaie de la préserver, j’essaie de la distinguer du propos qu’elle tient.
    Je distingue ainsi LA PERSONNE, le propos, l’action (dont l’endroit ici ne permet pas forcément d’avoir accès à cette dernière).
    A mes yeux, un être vivant se caractérise, entre autres, par sa faculté à être en mouvement, à évoluer.
    Je ne crois pas du tout à l’être prétendument vivant qui serait par ailleurs totalement figé dans sa façon de voir, dans sa façon de penser etc…
    Ça, je n’y crois pas du tout.
    Dieu Sait Mieux Évidemment…
    Je ne crois pas non plus aux vertus absolues de la flatterie hypocrite, de la flatterie stérile voire même lénifiante.
    Ça, je n’y crois pas non plus.
    L’ encouragement dans le Bien, oui !
    Ça j’y crois oui !
    Dans cette présentation, je ne te parle que de MOI, pas de TOI.
    je ne suis pas TOI, tu n’es pas MOI, je ne serais jamais TOI et tu ne seras jamais MOI wal ahamdoulillah !
    Dieu nous Crée différents, singuliers, Gloire à Lui, Seigneur de l’Univers!
    J’espère respecter ça, que Dieu me Préserve du contraire !
    Dieu Sait Mieux Évidemment…
    Je crois en la sincérité du lien, je crois en la Fraternité, la Vraie pas la fausse, pas celle d’apparence, pas celle “de surface”, mensongère, légère, je crois plutôt en la Vraie Concernation pour l’Autre, en la compassion, en l’entraide, en le soutient fraternel aussi (au sens large du terme évidemment, pas de distinction de sexe à ce niveau-là en ce qui me concerne en tout cas, j’enfonce ici une porte ouverte mais il serait peut-être grand temps de la refermer celle-là aussi, Dieu Sait Mieux Évidemment… ), je crois en la coopération etc…
    Moi, je crois en l’Homme quelle que puisse être la situation dans laquelle il (elle) puisse se trouver à un instant “t” de sa vie.
    Moi, je crois en lui, elle…
    Dieu Sait Mieux Évidemment…
    Je n’aime pas le faux.
    Aujourd’hui, j’en suis là…
    L’initiation de cette démarche n’a rien de contre toi.
    Elle espère plutôt, par ailleurs, en avoir peut-être un peu pour toi.
    Cela dit, elle s’inscrit avant tout, de mon point de vue, pour MOI.
    Puisses- tu, après cette petite présentation de ma démarche, mieux appréhender, mieux situer, l’endroit d’où partent mes interventions.
    Que Dieu nous Aide, que Dieu nous Assiste !
    Dieu Sait Mieux Évidemment…

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